Parce que la vie familiale relevait à leurs yeux de la sphère privée, les entreprises ont longtemps négligé les politiques de conciliation entre le travail et la famille. Mais depuis le début des années 2000, le vent a tourné: poussées par les instances européennes et les gouvernements français, elles sont aujourd'hui sommées, au nom de l'égalité hommes-femmes, d'inventer des politiques de soutien à la parentalité.
Mise en place, en 2004, du crédit d'impôt famille destiné à favoriser la création de crèches, lancement, en 2006, de chèques emploi-service pour financer les modes de garde: les pouvoirs publics demandent aux entreprises d'accompagner l'une des révolutions du XXe siècle, le travail féminin. De 1962 à 2005, le taux d'activité des femmes est passé de 42% à 82%: près de 60% des enfants de moins de 6 ans grandissent désormais au sein de couples "biactifs".
Pour mesurer les efforts des employeurs, l'Institut national des études démographiques (INED) a réalisé, en 2004-2005, une grande enquête sur les politiques de conciliation des entreprises. Près de 10.000 personnes de 20 à 49 ans et plus de 2500 entreprises de plus de vingt salariés ont été interrogées. Il s'agit, précise l'économiste Thomas Piketty dans sa préface, de "l'enquête la plus ambitieuse menée à ce jour sur l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle".
Premier constat: malgré les efforts du secteur public et des grandes entreprises, les politiques de conciliation restent rares. Plus de la moitié des établissements (20% des salariés) n'offrent quasiment aucun soutien à la parentalité. "Les aides ne sont pas toujours bien ciblées et elles ne font que rarement l'objet d'une politique cohérente et délibérée".
Les entreprises font des gestes: beaucoup d'établissements ont ainsi mis en place des prestations financières à destination des familles, qu'il s'agisse de complément d'indemnisation aux congés maternité et paternité, de primes à la naissance ou d'aides aux frais de garde. Mais les services, notamment les crèches, restent rarissimes: en 2005, elles concernaient à peine 3% des établissements. Surtout, les entreprises rechignent à répondre à la principale revendication des salariés: l'introduction d'une certaine souplesse dans les horaires. "Lorsque des ajustements existent, ils concernent bien plus souvent des événements rares que l'organisation quotidienne du travail. Ainsi, des assouplissements d'horaires sont permis de façon ponctuelle le jour de la rentrée scolaire ou en cas d'enfant malade, mais il existe peu d'aménagements réguliers."
Deuxième constat: contrairement à ce que l'on dit souvent, l'entreprise est un lieu où les dissymétries hommes-femmes restent encore très marquées. Avant même de choisir un emploi, les femmes anticipent le fait qu'elles assumeront en moyenne 80% du noyau dur des tâches domestiques: elles accordent beaucoup plus d'importance que les hommes aux horaires, ce qui les cantonne souvent dans les emplois de "petits temps" (temps partiel).
Pour les chercheurs qui ont participé à ce travail, la conciliation travail-famille passe donc par une réflexion approfondie sur l'organisation du travail. Il faut, affirment-ils, rompre avec les cultures d'entreprises qui font de la présence un signe de motivation.
"Tant que les réunions importantes se tiendront à 19 heures, il est sans doute vain d'espérer une réelle égalité hommes-femmes dans les carrières professionnelles et les tâches domestiques".
Ils plaident aussi pour des politiques publiques ambitieuses - développement massif des modes de garde et création d'un congé parental plus court, mieux rémunéré et mieux partagé avec le père. Nicolas Sarkozy a promis une réforme du congé parental mais en matière d'offre de garde, les ambitions, en un an, ont été sérieusement revues à la baisse: après avoir annoncé la création de 350.000 places d'accueil pour les moins de 3 ans d'ici à 2012, le gouvernement évoque maintenant le chiffre de 200.000 places.
Source : www.lemonde.fr
Texte adapté pour cette épreuve
Texte adapté pour cette épreuve